Carla Bley : L’imprévisible en musique

Carla Bley – Sextet

Sortie le 1 mars 1987 chez Watt

• Album : Sextet
• Artiste : Carla Bley
• Label : Watt
• Sortie : 1 mars 1987

Aujourd’hui, dans Mémoire Sonore, nous redécouvrons une figure incontournable du jazz contemporain : Carla Bley.

Aujourd’hui, dans Mémoire Sonore, nous redécouvrons une figure incontournable du jazz contemporain :

Carla Bley

Compositrice visionnaire, pianiste d’exception et pionnière de l’indépendance musicale, elle a marqué plusieurs générations d’auditeurs et d’artistes grâce à son audace et son originalité. Son album « Sextet », sorti en 1987, témoigne de cette richesse musicale et de sa quête constante d’expérimentation.

Le 17 octobre 2023, Carla Bley s’est éteinte à 87 ans, chez elle à Willow, dans l’État de New York. Cette disparition a marqué la fin d’une carrière longue de plus de six décennies, durant laquelle elle a redéfini le jazz et inspiré d’innombrables musiciens. Son esprit libre et son humour subtil restent gravés dans ses compositions, témoins de son inépuisable créativité.

Un destin musical hors du commun
Carla Bley est née le 11 mai 1936 à Oakland, Californie, dans une famille où la musique tenait une place centrale. Son père, organiste et professeur de piano, lui enseigne très tôt les bases de l’instrument, mais c’est en autodidacte qu’elle développe un goût prononcé pour le jazz. À seulement 17 ans, elle quitte la Californie pour New York, où elle trouve un emploi comme cigarette girl au légendaire Birdland, l’un des temples du jazz moderne. Cette immersion dans la scène musicale new-yorkaise est une révélation. Elle y croise des légendes du genre et rencontre Paul Bley, le pianiste qui deviendra son époux et son mentor musical.

Paul Bley perçoit immédiatement son potentiel en tant que compositrice et l’encourage à écrire ses propres morceaux. Très vite, ses compositions attirent l’attention des grands noms du jazz, notamment Ornette Coleman et Gary Burton, qui les intègrent à leur répertoire. Son écriture, à la fois mélodique et audacieuse, se démarque par son humour subtil et ses structures inattendues.

Mais Carla Bley ne se contente pas de suivre les sentiers battus. En 1971, elle se lance dans une aventure musicale monumentale avec « Escalator Over The Hill », un opéra jazz expérimental, fusionnant jazz, rock et musique contemporaine, avec des textes signés Paul Haines. Cet album, considéré comme un chef-d’œuvre, défie les conventions et impose son nom parmi les figures majeures du jazz avant-gardiste.

L’indépendance musicale comme philosophie
Fidèle à son esprit libre et anticonformiste, Carla Bley décide en 1974 de créer son propre label, WATT, avec le bassiste Steve Swallow, son compagnon de route musical et personnel. À une époque où les artistes de jazz dépendent encore fortement des grandes maisons de disques, cette initiative est une révolution. En produisant elle-même ses albums, elle s’affranchit des contraintes commerciales et préserve son intégrité artistique. Cette démarche inspirera de nombreux musiciens dans leur quête d’indépendance.

C’est sous ce label qu’elle enregistre « Sextet » en 1987, un album qui marque une évolution dans son style. Plus accessible que ses travaux précédents, il mêle jazz fusion et expérimentations harmoniques, mettant en avant une formation réduite de six musiciens. La basse de Steve Swallow, omniprésente, apporte un groove singulier, tandis que la guitare de Hiram Bullock et les synthétiseurs de Larry Willis confèrent à l’ensemble une atmosphère moderne et aérienne. La rythmique, assurée par Victor Lewis et Don Alias, est à la fois souple et dynamique, donnant à chaque morceau une identité propre.

« Lawns » : la force de la simplicité
Parmi les morceaux phares de l’album, « Lawns » se distingue par sa sobriété et sa profondeur émotionnelle. Ce morceau, devenu l’un des plus emblématiques de Carla Bley, illustre son talent pour distiller une émotion intense avec des moyens minimalistes. Les notes délicates du piano semblent flotter dans l’espace, tandis que la basse de Swallow soutient la mélodie avec une douceur hypnotique. « Lawns » est un exemple parfait de son approche unique : créer des paysages sonores où chaque silence et chaque nuance comptent autant que les notes elles-mêmes.

Un esprit libre et un humour intact
Outre sa musique, Carla Bley était aussi connue pour son sens de l’humour et son regard décalé sur le monde du jazz. Une anecdote célèbre illustre bien cette facette de sa personnalité. Sonny Rollins, figure légendaire du saxophone, lui avait un jour demandé, en arrivant chez elle, de lui laver un sac de fruits. Des années plus tard, il s’est excusé pour cette demande incongrue, admettant que ce n’était pas la meilleure façon de traiter une artiste. Carla Bley, loin d’être offensée, a toujours raconté cette histoire avec amusement.

Autre preuve de son originalité, son album « Dinner Music » (1977) surprend par son mélange de jazz, de funk et de disco, une association audacieuse pour l’époque. Ce disque prouve encore une fois que Carla Bley ne se laissait enfermer dans aucune case, explorant sans cesse de nouveaux territoires sonores.

Un héritage musical intemporel
L’œuvre de Carla Bley continue d’inspirer des générations de musiciens, bien au-delà du jazz. Son audace, son indépendance et sa capacité à bousculer les codes font d’elle une figure incontournable de la musique du XXe siècle. Son influence dépasse les frontières du jazz traditionnel, et son impact se ressent dans la musique contemporaine et expérimentale.

Aujourd’hui, alors que son nom reste gravé dans l’histoire du jazz, il est essentiel de redécouvrir ses albums, d’écouter ses compositions et de se laisser emporter par son univers si particulier. Carla Bley n’a jamais cherché à séduire le grand public, mais son héritage parle pour elle : une musique libre, inventive et inimitable, à l’image de son esprit.

Carla Bley – Sextet
Sortie le 1 mars 1987 chez Watt
Genre: Jazz